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Le Libertin de Robert Greene

Le Libertin de Robert Greene
Image : Vicky Cristina Barcelona

Aujourd’hui, ce n’est pas moi qui vais vous donner un cours de séduction, c’est Robert Greene. Dans L’art de la séduction, il décrit plusieurs profils de séducteurs. Voici celui dans lequel je me suis le plus reconnu (j’ai mis en gras les parties où je me sentais concerné). Je vous conseille de lire son livre, au passage.

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Une femme ne se sent jamais assez désirée ni estimée. Elle voudrait être l’objet de toutes les attentions, mais l’homme se montre trop souvent distrait, obtus. Le Libertin incarne un grand fantasme féminin : quand il désire une femme, ne serait-ce que pour un moment d’ivresse, il se met en quatre pour la conquérir. Il a beau être menteur, voleur et volage, cela ne fait qu’ajouter à sa séduction. A la différence de la majorité des hommes, le Libertin ne connaît pas d’inhibitions ; il se consacre corps et âme à sa passion pour le beau sexe. Raison de plus pour lui succomber : s’il est un bourreau des cœurs, il y a bien une raison. Et puis les femmes ont un faible pour les mots doux, et le Libertin est un beau parleur notoire. Éveillez les désirs féminins inavoués en mêlant au plaisir le frisson du danger.

Les clefs du profil :

On s’étonne qu’un homme ouvertement menteur et malhonnête, un célibataire endurci réfracta ire au mariage puisse exercer sur une femme le moindre attrait. Et pourtant… Tout au long de l’histoire et dans toutes les civilisations, ce profil conserve un attrait fatal. Le Libertin offre ce que la société interdit aux femmes : le plaisir pur, le frisson du danger. La femme est souvent étouffée par le rôle qu’on lui assigne. Elle est censée représenter la force civilisatrice, être la dispensatrice de tendresse, exiger de son partenaire engagement et fidélité à vie. Souvent, hélas, son mariage et ses relations ne lui apportent ni plaisir ni passion, mais se réduisent à une terne routine au côté d’un conjoint pour le moins distrait. Rencontrer un homme qui se donne à elle en totalité et vive à sa dévotion, ne serait-ce qu’un moment, reste donc pour elle du domaine de l’éternel fantasme.

Cet aspect obscur et refoulé du désir féminin a pour symbole le légendaire don Juan. Initialement, ce personnage était un fantasme masculin : le chevalier aventureux capable d’obtenir toutes les femmes qu’il convoite. Mais, aux XVIIe et XVIIIe siècles, don Juan a subi une lente évolution ; le mâle aventurier s’est comme féminisé : il est devenu un homme qui ne vit que pour les femmes. Cette évolution s’est faite grâce à l’intérêt des femmes pour son histoire et sous l’effet de leurs désirs frustrés. Le mariage était alors pour elles une forme de servage ; don Juan, de son côté, offrait le plaisir pour le plaisir, l’assouvissement du désir sans engagement en contrepartie. Dès lors qu’il croisait une femme, il n’avait plus de pensées que pour elle. Son désir était si puissant qu’il ne laissait à son objet ni le temps de réfléchir ni celui de se soucier des conséquences. Il se présentait nuitamment. offrait un moment de passion inoubliable et disparaissait. Qu’importe si mille femmes étaient déjà passées entre ses bras, cela ne le rendait que plus intéressant. Mieux valait se faire abandonner que de ne pas être désirée par un homme comme celui-là.

Les grands séducteurs ne se bornent pas à proposer les plaisirs feutrés que la société tolère. Ils touchent l’inconscient, les désirs refoulés qui implorent satisfaction. Il ne faudrait pas prendre les femmes pour les tendres créatures que certains voudraient faire d’elles. Comme les hommes, elles sont fortement attirées par le danger, l’interdit et même, dans une certaine mesure, le mal. D’ailleurs, don Juan aboutit en enfer : l’aspect diabolique- est donc bien inhérent à ce fantasme. N’oubliez jamais, si vous prenez le Libertin pour modèle, que votre personnage est associé à la notion de risque, au désir de violer les tabous, et que vous êtes censé inciter vos proies à faire une expérience rare et grisante : la possibilité d’exprimer, elles aussi, leur côté maléfique.

Pour jouer le libertin, le talent le plus indispensable est de savoir se lâcher, entraîner une femme dans une passion purement érotique où le passé et l’avenir perdent toute signification. Il faut être capable de s’abandonner totalement à ce moment. Ainsi, dans Les Liaisons dangereuses (1782) où Choderlos de Laclos campe un personnage inspiré du duc de Richelieu, le vicomte de Valmont, celui-ci écrit des lettres manifestement calculées pour avoir un certain effet sur sa cible. Mme de Tourvel. Celle- ci n’est pas dupe, mais quand les lettres se font ardemment passionnées elle fléchit et capitule. Car une passion apparemment incontrôlable ressemble à une preuve de faiblesse, et une femme y est sensible. En s’abandonnant, le Libertin suggère qu’il n’existe que pour l’objet de sa passion – c’est d’ailleurs le reflet de la vérité, ne serait-ce que provisoirement. Pablo Picasso, Libertin consommé, séduisit dans sa vie des centaines de femmes : la plupart avaient le sentiment d’être la seule qu’il eut vraiment aimée.

Le Libertin ne se soucie en rien de la résistance de la femme qu’il désire, ni d’aucun autre obstacle sur son chemin : mari, muraille, etc. Ceux-ci ne font qu’attiser son désir. Quand Picasso fit la cour à Françoise Gilot, il la supplia de lui résister ; il en avait besoin pour rendre leur aventure vraiment grisante. Une difficulté donne au Libertin l’occasion de s’affirmer, de faire preuve de créativité dans les choses de l’amour. Dans Le Dit du Genji – roman japonais du XIe siècle attribué à une dame de la cour – Murasaki Shikibu – la disparition soudaine de la femme qu’il aime, Ukifune, ne perturbe en rien le héros, le prince libertin Niou. Bien au contraire. Elle a pris la fuite parce que, malgré l’intérêt qu’éveille en elle le prince, elle est amoureuse d’un autre homme. Le prince fait l’impossible pour retrouver sa trace. Le panache avec lequel il se présente à l’improviste et l’enlève de son refuge au fond des bois la subjugue. A retenir : si vous ne rencontrez ni obstacle ni résistance, créez-les. Il n’y a pas de séduction sans eux.

Le Libertin est une personnalité extrême. Impudent, sarcastique et amateur d’humour noir, il se moque du qu’en dira-t-on. Paradoxalement, cela ne tait qu’ajouter à son charme. A une époque où régnait dans les studios d’Hollywood une atmosphère analogue à celle d’une cour royale, tous les acteurs se comportaient comme de dociles courtisans. Tous, sauf un : le grand Libertin Errol Flynn, qui se distinguait par son insolence. Il défiait les dirigeants des studios, jouait des tours pendables et s’exhibait comme le pire séducteur : tout cela ne faisait que renforcer sa popularité. Le Libertin n’est à son avantage que dans un décor rigoriste : pour apporter une bouffée d’air frais, il lui faut une cour trop policée, un couple trop banal, un milieu trop conservateur. N’ayez crainte d’aller trop loin : le Libertin est par nature celui qui va plus loin que tout le monde.

Le comte de Rochester, l’un des plus fameux poètes anglais du XVII® siècle, s’adonnait à un libertinage scandaleux. Quand il enleva Elizabeth Malet, une des jeunes femmes les plus courtisées de la cour, il fut dûment puni. Mais quelques années plus tard, ô surprise, la jeune femme, qui avait pourtant toute la cour à ses pieds, choisit librement de l’épouser. En prouvant l’ardeur de son désir, Rochester avait distancé tous les autres soupirants.

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Le tempérament extrémiste du Libertin lui fait aimer le danger, la transgression, et lui confère même un soupçon de cruauté. C’était le charme d’un autre poète libertin, un des plus grands de l’histoire : lord Byron. Byron exécrait toute forme de convention et en faisait gaiement litière. Il eut une liaison avec sa demi-sœur, qui lui donna un enfant ; il le publia dans toute l’Angleterre. Il se montrait parfois d’une ahurissante dureté, avec sa femme par exemple. Mais tout cela ne faisait que le rendre plus désirable. Les femmes répriment leur goût du danger car elles sont censées incarner la morale, la civilité. De même qu’un homme succombera au charme d’une Sirène pour s’affranchir du fardeau de ses responsabilités masculines, de même une femme cédera à un Libertin car quelque chose en elle souhaite se libérer du carcan de la vertu et de la décence. Souvent, ce sont justement les femmes les plus vertueuses qui tombent le plus passionnément amoureuses du Libertin.

Un des attraits du Libertin est sa capacité à faire croire aux femmes qu’elles peuvent le changer. Combien ne se sont pas crus capables de dompter Byron ! Combien d’autres étaient persuadées d’être l’élue de Picasso, celle avec qui il passerait le reste de ses jours ! Le Libertin sait exploiter à fond ce désir secret. Si vous vous faites surprendre en flagrant délit de libertinage, justifiez-vous en étalant votre faiblesse, votre désir de vous réformer et votre incapacité à le faire : avec autant de femmes à vos pieds, comment résister ? La victime, c’est vous. Vous avez besoin d’être secouru. Et les femmes de se précipiter à votre rescousse ! Elles se montrent d’une indulgence invraisemblable avec le Libertin, car c’est un personnage aussi délicieux que fringant. Le prétexte de le faire changer une fois pour toutes leur sert d’alibi au désir qu’il leur inspire. Quand le président Bill Clinton a été convaincu de libertinage, ce sont les femmes qui se sont empressées de le défendre et d’excuser ses frasques de toutes les façons. Le fait que le Libertin soit, à sa façon, un tel adorateur du beau sexe le rend encore plus aimable et séduisant à leurs yeux.

Enfin, le plus grand atout du Libertin est sa réputation. Ne minimisez jamais vos foucades, n’ayez pas l’air de vous en excuser. Assumez-les, étalez-les au contraire. Ce sont elles qui jettent les femmes dans vos bras. Soyez connu pour l’irrésistible attrait qu’elles ont pour vous, pour votre irrépressible appétit de plaisir – oui, c’est une faiblesse, mais qui rend votre compagnie tellement excitante ! —, pour votre mépris des conventions et même pour un côté rebelle qui vous fait paraître dangereux. Ce dernier élément doit cependant rester discret. En surface, soyez poli et urbain, non sans laisser entendre que, en coulisse, vous êtes incorrigible. Le duc de Richelieu affichait à toute force ses conquêtes, attisant le désir qu’avaient leurs rivales de se joindre au groupe des malheureuses séduites et abandonnées. Quant à lord Byron, c’est sa renommée qui attirait à lui ses consentantes victimes. Une femme peut avoir une opinion mitigée du président Clinton, derrière cette ambiguïté se cache un intérêt manifeste. Ne laissez pas votre réputation à la merci du hasard et des ragots : c’est un chef- d’œuvre qui doit être édifié méticuleusement, retouché sans cesse et exposé avec le soin d’un artiste.

Symbole : le feu.

Le Libertin brûle d’un désir qui embrase la femme qu’il séduit. Il est excessif, incontrôlable et dangereux. Le Libertin peut finir en enfer, les flammes qui l’entourent le rendent encore plus désirable aux yeux des femmes.

Les dangers

Comme la Sirène ce sont surtout les membres de son propre sexe que le Libertin a surtout à craindre, car ils sont beaucoup moins indulgents que les femmes vis-à-vis de cet éternel trousseur de jupons. Jadis, le Libertin était souvent un noble : quel que fut le nombre d’offenses ou même de crimes dont il se rendait coupable, il en sortait toujours impuni. De nos jours, seuls les riches et les vedettes peuvent pratiquer le libertinage en toute impunité : les autres feraient mieux de se méfier.

Elvis Presley était au départ un jeune homme timide. Devenu très jeune une star et voyant le pouvoir que cela lui donnait sur les femmes, il perdit la tête et sombra dans le libertinage pratiquement du jour au lendemain. Comme beaucoup de Libertins, Elvis avait une prédilection pour les femmes déjà prises. Plus d’une fois, il se fit rosser par le mari ou l’amant de ses conquêtes et s’en tira avec quelques bleus. Vous pourriez en conclure qu’il faut ménager ces gens-là, surtout au début de votre carrière. Mais le charme du Libertin, c’est justement que ce genre de danger lui importe peu. Vous ne deviendrez jamais un vrai Libertin si vous vous montrez craintif et prudent ; une bonne raclée de temps en temps fait partie du jeu. Quant à Elvis, aucun mari n’osa plus le toucher lorsqu’il fut à l’apogée de sa célébrité.

Le vrai danger qui menace le Libertin vient non pas des maris bafoués mais des timides qui se sentent écrasés par son donjuanisme. Sans se l’avouer, ils envient sa vie de plaisir et, comme tous les jaloux, ils attaquent à la dérobée, cachant souvent leur persécution sous le masque du moralisme. Le Libertin risque parfois sa carrière quand il se heurte à eux – ou même à quelques femmes également frustrées, et blessées par son indifférence. Il n’y a pas grand-chose qu’il puisse foire pour échapper à la jalousie : si tout le monde remportait autant de succès que lui, la société serait ingérable.

Alors acceptez la jalousie comme un diplôme, un titre de gloire. Ne soyez pas naïf, soyez averti. Attaqué par un moraliste, ne croyez pas un mot de son argumentation : elle n’est dictée que par l’envie. Vous pouvez émousser ces pointes en vous montrant plus sage, en demandant pardon, en prétendant que vous avez changé, etc. Mais cela nuira à votre réputation ; on vous trouvera moins adorablement canaille. En fin de compte, mieux vaut subir ces assauts avec dignité et continuer à séduire. La séduction est la source de votre pouvoir : et vous pourrez toujours compter sur l’inépuisable indulgence des femmes.

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1 commentaire pour “Le Libertin de Robert Greene”

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